ESPRIT DES JEUX, OU ES-TU ?
« La fête a viré au cauchemar ! » « Ce 1er août fut jour de défaite nationale suisse ! » A lire certains titres de la presse du lendemain, l’absence de médailles suisses devenait synonyme de perte d’identité tout court comme si la nation tout entière sombrait. Cancellara symboliserait « le désarroi helvétique », au même titre que la judoka Robra, le tennisman Wawrinka ou les épéistes Kanter et Heinzer. Dame ! Jusqu’où va-t-on dans l’escalade d’un catastrophisme mal placé à l’heure où tant de civils innocents meurent éxécutés chaque jour dans une Syrie à feu et à sang ? Cette manière de commenter les Jeux olympiques a quelque chose d’indécent. Elle n’a surtout rien à voir avec l’esprit qui est censé les qualifier.
Il paraît à l’évidence déplorable que certains comportements d’athlètes tuent l’esprit des Jeux. Quand Michel Morganella, capitaine de l’équipe suisse de foot, insulte le joueurs sud-coréens parce qu’il ne supporte pas l’élimination ; quand des joueuses de badminton chinoises et coréennes font tout pour perdre un match ; quand d’autres recourent au dopage, pinçés ou non, l’esprit des Jeux n’en prend pas seulement un coup. Il est détruit.
Ce qui se cache derrière d’autres comportements également condamnables, c’est la course à la performance à n’importe quel prix. La fameuse devise « Plus haut, plus vite, plus fort », si elle vise à écraser l’adversaire ou la victoire par pur culte triomphaliste ou nationaliste – et Dieu sait si cet esprit est répandu aussi chez nous – perd tout simplement son sens. Car sa vraie signification vise l’excellence et non la domination. Que le meilleur gagne, oui ! Mais la valeur de l’athlète qui a sué et travaillé dur au prix de sacrifices, qui en parle, qui en salue le mérite ? Que Gian Gilli ait rêvé d’atteindre dix médailles, pourquoi pas ? On reste au niveau d’un idéal espéré. Mais quand des journalistes font tout un drame en donnant dans l’émotionnel parce que les Suisses n’en ont gagné que deux, on est bien loin du véritable esprit des Jeux.
Le véritable esprit des Jeux, où est-il finalement ? L’exemple de Cancellara l’illustre bien à mon sens. Voilà un athlète dont on a dit : « Cancellara perd tout. » Comme si c’était un homme-machine programmé qui devait à tout prix correspondre à l’ambition projetée sur lui. Or il arriva que ce fut un homme simplement. Un homme blessé. Un homme qui eut le courage de concourir dans la douleur et l’assuma. Commentaire dans la presse : « Désarroi helvétique ! Cancellara n’est que septième contre la montre ». Pourquoi ne pas écrire : « Admirable septième place » ? Car elle incarne le véritable esprit des Jeux. C’est Cancellara lui-même qui l’a formulé avec bonheur : « Je me suis aligné par respect pour les Jeux et pour mon pays. Je savais que j’avais plus de chance de perdre que de gagner. Mais finalement, aujourd’hui, j’ai plus gagné que perdu. » Chapeau l’athlète ! Il a sauvé l’esprit des Jeux.
François Gachoud