En réflexion...

Extrait 2

AUBE

J’ai quelquefois marché la nuit pour guetter le jour. Instant rare où l’aube naît. Accouchement de lumière.

Il faut longuement préparer le moment de cette apparition. Marcher longtemps dans la nuit. Il faut aussi que le silence accompagne le pas. Le silence favorise la concentration. Il permet d’intérioriser l’attente, de donner à chaque silhouette encore dans l’ombre le relief mystérieux d’une présence. Monter ainsi dans la nuit accroît la densité de l’attente: la lumière viendra. J’amplifie peu à peu le désir de sa manifestation.

 J’ai maintenant atteint la crête. Les deux versants de la montagne sont encore plongés dans le noir. Mais on commence à distinguer en bas les bras blancs d’une coulée de neige lasse d’un hiver trop long. Là-bas, en avant, les yeux devinent, par-delà la chevauchée des monts qui courent vers l’horizon brumeux, une avancée discrète de l’aube encore pâle. C’est l’instant fragile d’une suspension du regard. Car la lumière peu à peu va prendre possession des ombres. Flottaison blême des reliefs encore endormis.

 Métamorphose. La lumière qui vient du fond de l’horizon monte. D’une poussée puissante vers le haut, elle commence par envahir tout le champ. L’espace s’élargit. On distingue d’abord les plus hauts sommets dont la blancheur encore molle va passer au bleu. La sensation du froid soudain plus intense contraste alors fortement avec l’apparition du feu qui embrase l’horizon. Le soleil apparaît. Il semble à portée de main comme si, du bras tendu vers l’avant, on pouvait l’extraire de sa fosse. Il est près de cinq heures. La lumière va gagner les pentes, monter vers le ciel, déployer sa gamme de couleurs. Elle vire de l’orange au jaune vif, puis au blanc. Insaisissable progression. Mais transfiguration réelle du monde sous les yeux. C’est ainsi qu’il naît chaque matin.

Le Nadelgrat ou arrête de l'aiguille (Lenzspitze-Nadelhorn)