En réflexion...

UNE GUERRE JUSTE EST-ELLE ENCORE PENSABLE ?

SYRIE. Voici deux ans, soufflait en Syrie le vent d’espoir du printemps arabe. Mais, après quelques manifestations pacifiques, vint le temps d’une répression impitoyable et sans merci d’une population innocente par décision brutale d’un dictateur sans pitié : c’est le cycle de violences, de tortures et de massacres qui s’enflamma, confirmant très vite l’engrenage insoluble d’une guerre civile où les innocents tombent comme des mouches sous les bombes du régime. Mais aussi sous les ripostes de rebelles largement infiltrés par des forces islamistes venues alimenter leur guerre sainte. Ces djihadistes aussi pratiquent tortures et massacres. C’est l’impasse totale.

Au comble de l’intensité des combats, l’usage d’armes chimiques à la Ghouta près de Damas est venu aggraver la donne: on vient de franchir une limite intolérable ! « Quel message enverrons-nous si un dictateur peut gazer des centaines d’enfants au vu et au su de tous et ne pas en payer le prix ? » s’exclame le président Obama qui déclare que les Etats-Unis sont prêts à frapper le régime. Cet appel pourrait être interprété comme une décision juste au nom du principe de la guerre juste. Mais ce principe peut-il s’appliquer ici ?

Il faut brièvement rappeler que le concept de guerre juste suppose l’intention droite de défendre le bien commun d’une collectivité menacée par un agresseur visant un peuple, ses personnes et ses biens. Le droit à la légitime défense s’impose alors comme seul recours pour protéger ces personnes et ces biens. Mais relevons que, même en ce cas, une guerre défensive doit se limiter à ne pas tuer les civils innocents de la partie adverse et exclure les armes de destruction massive (nucléaires et chimiques). Il faut toujours aussi se rappeler qu’une guerre dite juste n’est pas un bien. Elle est un moindre mal auquel on ne peut recourir que pour éviter un mal plus grand. Appliqué à la Syrie, le concept de guerre juste est-il pensable ?

Nous ne pouvons répondre que par la négative pour quatre raisons au moins :

  1. 1.   Quand un dictateur comme Bachar-al-Assad massacre son propre peuple, rien ne peut l’excuser ni le justifier.
  2. 2.   Dans la mesure où les forces rebelles au régime usent des mêmes moyens, on ne peut pas invoquer une guerre juste.
  3. 3.   Les Russes surtout et les Chinois, en empêchant depuis près de deux ans le Conseil de sécurité de mettre sur pied la possibilité d’une solution négociée, ont de fait conforté le régime syrien à poursuivre la guerre civile. En fournissant des armes, y compris chimiques, en équipant et entraînant l’armée syrienne, le gouvernement russe porte une lourde responsabilité. On est très loin du concept de guerre juste. Poutine manifeste un cynisme très habile : en proposant soudain le contrôle et la destruction des armes chimiques que la Russie a elle-même livrées afin de répondre aux  menaces de frappes formulées par Obama, il permet à  Bachar-al-Assad de sauver la face et prend lui-même la main sur Obama en l’accusant d’usage de la force.
  4. 4.   Obama, quant à lui, même s’il justifie vouloir poursuivre une fin juste par une intervention limitée en Syrie, risque de ne rien résoudre. Non seulement à cause des effets imprévisibles des frappes, mais à cause des risques d’extension du conflit à tout le Moyen-Orient.

Conclusion provisoire : en décidant d’un commun accord d’imposer à Bachar-al-Assad la destruction de son arsenal chimique, les ministres américain et russe John Kerry et Sergueï Lavrov permettent au moins d’amorcer une solution négociée. Celle-ci paraît bien être la seule issue possible à l’impasse syrienne. Mais rien ne peut assurer que le régime au pouvoir soutenu par les Russes accepte de discuter avec les rebelles djihadistes et que cesse la guerre totale. Ce peuple martyr connaîtra-t-il un jour la paix ? Il est permis d’espérer, mais ce sera long et très compliqué.

François Gachoud

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