LA DANSE DES PARTICULES
La mise en route le 10 septembre 2008 du LHC, le plus grand accélérateur de particules jamais conçu, fera date. Le patient travail de quelque dix mille physiciens durant près de vingt ans pour construire ce gigantesque anneau de vingt-sept kilomètres afin de scruter les secrets des constituants de la matière, est tout simplement admirable. Face à l’offensive de quelques chantres de la peur qui ont brandi le spectre de l’aspiration du monde dans un trou noir, nous trouvons des scientifiques lucides et confiants qui prolongent, après tant d’autres dans l’histoire, la noblesse des aventures de l’intelligence humaine. C’est bien de cela qu’il s’agit : l’intelligence de l’homme est faite pour essayer de comprendre les origines et la fin de ce monde. Et cette soif de comprendre ne s’arrêtera jamais. Il est bon d’admirer ce prodigieux appétit de connaître. Car il est signe de grandeur. De grandeur, non de présomption.
Il fut un temps, au XIXe siècle surtout, où la science se montra triomphante. Elle prétendit pouvoir tout expliquer. Aujourd’hui, les scientifiques n’affichent plus une telle présomption. Ils ont compris que, malgré les progrès remarquables accomplis par la physique quantique et la relativité d’Einstein, nous sommes loin de comprendre les secrets ultimes de la matière et de la création de l’univers. Nous ne savons toujours pas pourquoi les noyaux d’atomes ont une masse et nous ne pouvons pas remonter au temps zéro du commencement de l’univers, soit avant le fameux big-bang. Les scientifiques ont appris à reconnaître les limites de l’intelligence humaine. Ils ne prétendent plus pouvoir tout expliquer. C’est sage.
Mais ce qui l’est peut-être plus encore, c’est qu’ils continuent inlassablement à chercher. Ce qui nous montre que notre intelligence humaine demeure faite pour scruter les mystères tout en sachant qu’ils continueront à nous dépasser. C’est en ce sens qu’on parle d’une dimension métaphysique qui nous invite à aller au-delà de la physique. Saluons chez la plupart des scientifiques cette noble attitude. Elle est promesse d’un dialogue fécond entre eux-mêmes et les philosophes.
Ces derniers en effet ont depuis longtemps réfléchi sur l’infiniment grand et l’infiniment petit. Et voilà que la science elle-même cherche à montrer qu’en cassant des protons lancés à une vitesse proche de la lumière, nous pourrons commencer à comprendre comment la structure de l’infiniment petit (celle des particules) nous conduira à mieux comprendre l’infiniment grand (les milliards de soleils et de galaxies). N’y a-t-il pas là de quoi méditer ?
Méditer par exemple cette parole prophétique d’un certain Pascal, philosophe et mathématicien, qui écrivait en plein XVIIe siècle : « Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui infiniment cachés… » Oui. Ce qui demeure aujourd’hui encore admirable, c’est bien cette inlassable quête de l’intelligence humaine vouée à faire reculer les bornes de ses incompréhensions tout en reconnaissant ses limites. Ce qui nous renvoie et nous renverra encore et toujours aux insondables mystères de nos origines.
François Gachoud