HORIZON VACANCES ENTRE HIER ET AUJOURD’HUI
Elles n’ont pas toujours été ce qu’elles sont devenues. De loin pas. Car la notion même de vacances a véhiculé au cours du temps des significations bien différentes.
Si l’on s’accorde aujourd’hui à voir dans les vacances un temps d’heureuse rupture qui permet de briser un rythme de vie souvent éprouvant, temps d’évasion, de repos, d’abandon des tâches programmées, cet univers sans obligations ni urgences est un fait historiquement récent. Il est lié à l’apparition des congés payés conquis de haute lutte syndicale entre les deux guerres mondiales.
Pour les Anciens d’Occident, Grecs puis Romains, – aussi étonnant que cela puisse paraître – ce n’était pas le travail qui faisait critère mais son contraire. Les Anciens opposaient en effet le « negotium » ( le commerce, les activités pratiques) à l’ «otium » et c’est ce dernier qui paraissait naturel et faisait référence. L’ « otium », ce n’était pas l’oisiveté, ni le loisir au sens du divertissement, comme on le croit parfois. C’était cet état où l’on pouvait vaquer au bien-être par des activités libres sans devoir travailler pour gagner sa vie. C’était le contraire de l’affairement propre au négoce qui détournait la vie de son but premier : cultiver l’art du bien vivre. Evidemment, cette conception-là ne pouvait pas fonctionner sans l’esclavage. C’est dire qu’en ces temps-là le travail ne représentait pas une valeur positive.
Tout s’inversa de façon lente mais finalement décisive au 19ème siècle seulement : c’est l’avènement de l’ère industrielle et le triomphe progressif du capitalisme qui conféra au travail une place prépondérante. Le travail devient alors une valeur, la valeur normative de la vie courante. Il fait désormais critère, il devient même clairement signe de dignité et de vertu : il faut mériter son salaire et c’est par le travail qu’on donne du prix à sa vie, à son rôle dans la société. Ce ne fut certes pas sans combat singulier puisqu’au départ on exploita les travailleurs, ce qui provoqua la révolution communiste que l’on sait et sa dictature. En fait, ce sont les avancées syndicales successives qui, dans les pays démocratiques, jouèrent un rôle majeur car elles permirent peu à peu de garantir aux travailleurs un statut décent ; donc au travail la reconnaissance de sa valeur et dignité.
Et les vacances dans ce contexte ? La consécration d’un temps libre après les périodes de travail fut conquise par des luttes et négociations souvent difficiles avec les patrons d’entreprises. C’est alors qu’on put enfin fêter l’instauration d’un temps de loisir et de repos légalement reconnu. Un temps qui aujourd’hui varie selon les pays de quelques jours à quatre ou cinq semaines. La vertu des Suisses a même été saluée en ce domaine puisque le peuple a refusé, à l’étonnement de beaucoup, une sixième semaine de congés payés. Notre rapport au travail et aux vacances est donc bien le fruit d’une lente et sage conquête.
Comment vivons-nous les vacances aujourd’hui ? S’agit-il d’un dépaysement monnayé, d’un repos programmé, d’une liberté en tranches formatée par l’industrie des loisirs et du tourisme de masse ? Il est paradoxal de souligner que la commercialisation des vacances est devenu un travail, travail qui engendre cependant une ambiguïté, dans la mesure où l’on peut douter que cette forme de vacances réalise un idéal de liberté, de repos, d’évasion et de découvertes où le stress n’a plus de place. Les vraies vacances ne devraient-elles pas au moins garantir ces qualités, être par conséquent un temps de ressourcement porteur d’un mieux-être ? Ce ressourcement peut prendre mille formes. A nous de savoir les réinventer !
François Gachoud