En réflexion...

L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE: UNE FASCINATION TROMPEUSE?

L’idée court les rues : un jour, les capacités de l’intelligence artificielle (IA) seront tellement plus développées que celles de notre intelligence humaine que celle-ci sera complètement dépassée. N’a-t-on pas vu le champion du monde du jeu de GO battu par un ordinateur aux algorithmes plus puissants que lui ? Fascinant non ? Plus inquiétant : A l’origine de ce qu’on appelle le « Deep learning », les adeptes du «  connectivisme » avancent l’idée que bientôt des machines pourront construire un tel réseau de neurones artificiels qu’ils seront capables de faire émerger une intelligence supérieure à la nôtre.

 

On le sait : c’est un rêve aussi vieux que le monde ! L’être humain est ainsi fait qu’il ambitionne de tout connaître et rêve en effet de devenir immortel. Mais nous savons aussi que du rêve à la réalité il y a un abîme : comment en effet pourrions-nous vaincre un jour la mort ? Les biologistes le reconnaissent : nous ne sommes pas capables de créer – nous disons bien « créer » – une seule cellule vivante à partir des éléments basiques de la vie, ceux de l’ADN.

Mais l’idéologie transhumaniste est encore plus ambitieuse puisqu’elle elle vise la production d’une machine capable de devenir elle-même une intelligence meilleure que la nôtre.

 

Quelle réponse pouvons-nous apporter à pareille interpellation ? D’abord ceci qui s’impose comme un constat basique : si puissant soit l’ordinateur, il reste une machine. Il ne franchira jamais le fossé qui le sépare de l’être vivant. Car le fonctionnement propre à toute machine, si performante soit-elle, est fondé sur une procédure purement mécanique. Celle-ci est exprimée par une série d’algorithmes, soit une organisation qui doit être programmée. Or,

la machine ne se programme pas elle-même. Elle suppose un auteur, l’auteur du programme informatique qui n’est pas la machine. La machine ne fait qu’exécuter cette programmation. Certes, elle sera de plus en plus puissante grâce à la multiplication des algorithmes produits. Mais il faut bien retenir qu’elle ne crée pas ce programme actualisé et voulu par l’homme. Il suffit de penser aux premiers ordinateurs par rapport à ceux d’aujourd’hui. Ces derniers dépassent les premiers en performances de plus en plus grandes par l’hyperpuissance de « Deep Blue IBM » sur le champion du monde Gary Kasparov à la fin des années 90 (il relie 480 circuits d’ordinateurs capables d’évaluer 200 millions de positions par seconde); puis, en 2017, par la victoire du logiciel « d’IA Alpha Go » sur le champion chinois du jeu de Go. Pareilles performances impressionnent bien sûr le commun des mortels, mais il n’est pas vrai que la somme des algorithmes ainsi obtenus soient comparables à l’intelligence humaine.

 

Gérard Berry, titulaire de la chaire « Algorithmes, machines et langage » au Collège de France dénonce l’illusion trompeuse qui nous ferait croire que l’IA va remplacer l’intelligence humaine et la dépasser au point que des robots dits intelligents effectueront des tâches qui ridiculiseront les nôtres : « Oui, l’algorithme est le schéma mental des informaticiens, mais pas le nôtre. Les algorithmes produisent des codes, toujours des codes, rien que des codes. Et quand il y a Bug, que font les informaticiens, poursuit Berry ? Ils inventent d’autres algorithmes ! Ils ne savent pas faire autrement, car ils pensent algorithmes ». Conclusion : la logique mathématique codée ne peut être confondue avec celle d’une intelligence humaine qui ne saurait se réduire à ces opérations.

 

L’intelligence du cerveau humain est en effet bien plus complexe. Elle se distribue en 6 lobes qui caractérisent le développement de l’enfant jusqu’à l’adulte : l’occipital pour la vision ; le temporal pour audition mémoire, langage ; le pariétal pour la coordination spatiale et mathématique ; le frontal pour le raisonnement, la capacité de décider et juger librement de nos actions ; l’insulaire et le limbique comme siège des émotions et de la conscience de soi. Grâce à une IRM, on distingue par exemple clairement le cortex sensori-moteurs du développement de l’enfant et le cortex préfrontal qui développera des modèles cognitifs capables d’élaborer des interactions et du sens, mais aussi d’organiser notre sphère affective, celle des sentiments, des émotions, et celle qui est sociale car elle nous met en relation avec autrui.

 

Il faut tenter de réaliser que ce réseau de connexions est en fait bien plus complexe qu’Internet à l’intérieur de nos têtes ! 80 milliards de neurones se combinent dans ces 6 lobes, créant un million de milliards de connexions. Nous ne sommes pas ici dans le registre purement quantitatif du nombre de ces connexions, mais dans celui qualitatif des capacités extraordinairement diversifiées de l’intelligence humaine. En fait, il n’y a pas deux intelligences humaines semblables parce que chacune est singulière dans sa manière de fonctionner, dans ses modes d’adaptation, libre dans ses choix comme dans ses sentiments et ses idées. Nous pouvons alors réaliser que le vivant que nous sommes ne sera jamais réductible aux machines, si performantes soient-elles.  Yann Le Cun, à l’origine du renouveau de l’IA contemporaine au Collège de France, déclarait récemment à ce sujet: « Les meilleurs systèmes d’IA ont aujourd’hui moins de sens commun qu’un rat ». Et, à propos de Sophia, robot humanoïde conçu par Hanson Robotique, il ajoutait : « Elle n’a aucun sentiment, aucune opinion et ne comprend pas ce qu’elle dit ».

 

Rappelons enfin que, déjà au milieu du 17ème siècle, Blaise Pascal, mathématicien, physicien, philosophe, théologien et écrivain majeur, avait su distinguer « l’esprit de géométrie », celui  de la sphère mathématique et algorithmique, et « l’esprit de finesse » qui procède de l’intuition. Celle-ci, pensait-il, permet à notre intelligence de s’adapter aux situations de notre vie personnelle. Cela grâce à la sphère de la sensibilité capable d’éprouver des affects afin d’écouter les voix intérieures du cœur qui nous ouvrent les portes de l’amour. Ce qu’aucune machine ne saurait faire !  On connaît la célèbre maxime : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Nous sommes bien dans une autre dimension que le monde de l’IA. Et rien, dans cette dimension-là, ne sera remplacé par le développement des machines.

 

François Gachoud, philosophe

 

 

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