VIVRE CHAQUE JOUR QUI NOUS EST DONNE
J’ai 75 ans et chaque jour qui s’offre à moi, je le vis comme un don. Don de la vie que j’ai reçue. Je vis d’abord dans la reconnaissance de ce qu’elle m’a apporté : par mes parents, mes amis, par ceux qui m’ont formé et permis de découvrir ce que j’ai pu donner à mon tour. Nous sommes des êtres de relation.
Mais nous sommes aussi ce que nous devenons par le travail sur soi et le service des autres. Croyant, je m’inspire de cette parole du Christ : « Le plus grand parmi vous sera votre serviteur ». Philosophe, je ne vis pas chaque jour dans la perspective de ma fin prochaine, mais dans le souci de vivre ce jour-là le mieux possible. Il ne s’agit pas d’ajouter des jours à la vie mais d’ajouter de la vie à chaque jour. La joie de vivre d’un jour l’emportera toujours sur la quantité des jours sans joie.
Ne programmons pas la vie. Accueillons-la comme elle est à l’âge où nous sommes, en acceptant ses limites, son déclin progressif, ses infirmités. Nous sommes vulnérables. C’est notre condition. Nous ne sommes pas immortels, c’est aussi notre condition.
Le piège majeur qui nous est tendu aujourd’hui, c’est de nous faire croire que le plus important est de vivre le plus longtemps possible. La publicité en fait une obsession. L’allongement de l’espérance de vie est certes un fait, mais il est faux de penser qu’à 75 ans on se sent comme à 50, qu’à 90 ans on se sentira comme à 75. C’est un leurre. On peut arriver à 100 ans, mais combien y arrivent et dans quel état ? Biologiquement, nos gènes nous inscrivent dans une longévité restreinte : 80 ans, c’est déjà bien. Quant au remède miracle qui régénèrerait nos cellules, nos organes, pour nous laisser entrevoir l’immortalité sur terre, c’est encore un leurre. C’est prendre ce rêve pour la réalité.
Soyons lucides devant la mort, oui, mais travaillons à être sereins. Comme disait Montaigne : « La mort est le bout, non le but de la vie ». Socrate ne craignit pas la mort. Il eut à 70 ans la sagesse de considérer la mort comme une nouvelle naissance. Naissance à quoi ? A la vie éternelle de l’âme. Ce fut certes là une conviction de nature philosophique. Comme celle de Bouddha entrevoyant l’Eveil suprême, le Nirvana.
Mais apprendre à mourir est aussi une question de foi. Avec mes frères chrétiens, je crois que Dieu nous aime infiniment et pour toujours. Et qu’il nous promet la résurrection : si Jésus-Christ a traversé la mort, ce fut pour en sortir vivant. C’est lui le gage de cette espérance. Avec lui et comme lui, je traverserai la mort. Mais je souhaite vivre ce moment dans la perspective de la rencontre suprême : être accueilli dans l’amour par Celui qui m’a créé et voulu comme il a créé et voulu tous ceux que j’aime et que je retrouverai en lui. Ce mystère dépasse ma raison car l’amour ne se démontre pas, surtout celui-là. Mais je me sens invité à le vivre dans la gratitude et l’humilité.
François Gachoud, philosophe et croyant
Site internet : francois-gachoud.ch