En réflexion...

LA TYRANNIE DE L’AVEU

«L’homme en Occident est devenu une bête d’aveu» affirmait le philosophe Michel Foucault. Ce qu’il formulait voici plus de vingt ans est devenu le pain quotidien des programmes télévisuels, notamment en France. De «Loft Story» à «Koh Lanta» en passant par «L’Ile de la tentation», «Vie privée, vie publique», «Ca se discute» et j’en passe, des centaines de cobayes contemporains défilent aujourd’hui sur les plateaux de télévision comme on va à confesse. Nous sommes entrés dans l’ère du grand déballage: plus de clivage, plus de frontière entre vie privée et vie publique, on se vide de partout jusqu’au plus intime. Il faut sacrifier par tous les moyens au culte de l’aveu, donner à fond dans l’émotionnel. Il paraît que ça soulage. En tout cas, ça nourrit indéfiniment la curiosité du public. Un public voyeur, un public insatiable que les programmateurs font tout pour gaver et gaver encore…

Que s’est-il donc passé pour que les reality-shows foisonnent tous azimuts, offrant à des millions d’inconnus l’aveu des confessions les plus intimes, ce fameux jardin secret que nous dissimulions soigneusement jusqu’au plus familier de nos proches? Oui, que s’est-il passé pour qu’on en arrive à ce surprenant paradoxe qui fait que des individus en viennent à livrer en public les secrets qu’ils n’osent même pas révéler à leur femme, à leur mari ou à leur famille ? Les premiers psyshows et même «Loft Story» avaient subi les foudres de la critique qui en dénonçait le voyeurisme et la débilité. Il y avait au moins débat. Aujourd’hui plus rien.

La révélation de l’intime et son étalage sont devenus le ventre du système, un ventre mou par lequel transite la digestion médiatique qui a enfin trouvé l’inépuisable sujet dont on ne se lassera pas. Pensez donc! Le réservoir du déballage intime multiplié par le nombre d’individus potentiels est aussi intarissable que celui de la curiosité universelle du téléspectateur en mal de spectacles. On en prendra encore pour des années !

Le sociologue J.C. Kaufmann parle d’une «véritable mutation anthropologique». «Nous sommes en train d’assister au changement de ce qu’est un individu, de ce qui le constitue, de la notion de secret personnel» précise-t-il. Quant au philosophe P. Virilio, parlant de l’impact de la «télé-présence», il souligne: «La télé-présence, c’est tout simplement l’intimité du monde que l’on a perdue, la fin des horizons». Il convient vraiment de s’interroger: que devient une société quand elle réclame à corps et à cri l’émancipation totale de l’individu et au même moment vide ce dernier de la part la plus intime de sa sphère privée? Que devient cet individu – c’est vous, c’est moi! – quand il accepte la tyrannie de l’aveu médiatiquement programmée, quand il y consent et entretient lui-même le système pour satisfaire sa curiosité indiscrète et finalement malsaine?

Il faut choisir. C’est en fait un choix entre la pudeur et l’impudeur. Et jusqu’à preuve du contraire, la pudeur reste la réserve protectrice de notre dignité!

Francois Gachoud

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