En réflexion...

PEUPLES ARABES DANS LE VENT DE L’HISTOIRE

Le printemps des peuples qui soulève le monde arabe a quelque chose d’inouï. D’abord, parce que le souffle de cette révolte généralisée était parfaitement imprévisible, déroutant aussi bien les dirigeants tunisiens, égyptiens et libyens que les gouvernants occidentaux pourtant accoutumés au fonctionnement démocratique. Ensuite, parce que ce défi jeté aux dictateurs corrompus n’obéit à aucun modèle préétabli. Il surgit du plus profond des aspirations qui s’emparent de populations majoritairement jeunes, étouffées et sans avenir, qui ont soudain trouvé la force de dire non. Basculement vertigineux dont nous n’avons pas fini de mesurer la capacité de transformer la marche de leur histoire.

On pourrait croire à première vue qu’il s’agit là d’un simple ras-le-bol qui fait contagion. Quand des peuples opprimés et jeunes, pour la plupart sans travail et pauvres, découvrent le pouvoir de communiquer au niveau mondial via Facebook et Twitter, on peut comprendre que le vent de la liberté démocratique les touche et réveille en eux le besoin d’exprimer cette liberté depuis trop longtemps réprimée. Certes, ce facteur n’est pas négligeable. Mais il y a plus déterminant et surtout plus profond.

Car ce qui frappe avant tout, c’est qu’une telle révolte se fait au nom d’un puissant besoin de reconnaissance. Sinon, pourquoi auraient-ils trouvé une telle force de tout affronter ? Reconnaissance de quoi ? De cette dignité sans laquelle nul ne trouve sens à la vie si elle est systématiquement foulée au pied. Toutes les tyrannies de l’histoire, arabes ou non, sont insupportables. Parce qu’elles n’imposent pas seulement aux êtres humains leur brutalité répressive, mais les emprisonnent continuellement dans le mépris et l’humiliation. C’est du fond de cette négation permanente de la dignité humaine que jaillit un jour la capacité de dire non et de revendiquer le droit d’exister : Je me révolte, donc nous sommes ! Cette formule saisissante d’Albert Camus traduit au plus près le motif le plus radical de toutes les formes de révolutions.

Mais ce n’est pas tout. Car ce qui est absolument inédit dans l’irrésistible levée des peuples arabes, c’est leur incroyable courage. Le courage d’affronter le pouvoir à mains nues et par la seule volonté de leur résistance morale. C’est ainsi qu’au Caire et malgré la répression policière, la foule des manifestants est venue à bout d’un puissant pouvoir. C’est ainsi qu’à l’heure tragique du bain de sang déclenché contre les civils innocents, la population libyenne est déterminée à aller jusqu’au bout d’une tyrannie sans égal. C’est cette détermination absolument unique qui marquera l’avenir de ces peuples même si la mise en place de la démocratie souhaitée n’ira pas sans problèmes ni soubresauts.

S’il fallait retenir une seule raison majeure de ce changement historique, j’avancerais celle-ci : la révolution profonde à laquelle nous assistons est aux antipodes du terrorisme auquel les fanatiques arabes nous ont accoutumé. Ce vent révolutionnaire fait échec à la logique meurtrière des kamikazes bardés d’explosifs qui sèment la terreur et la haine de l’Occident. Nous sommes donc les témoins d’un mouvement historique de fond plus proche de Gandhi et Mandela que de Ben Laden et Kadhafi. La tâche de ces peuples est loin d’être achevée, mais ils soulèvent une telle espérance que l’Occident doit tout faire pour les soutenir et leur venir en aide à la mesure de leurs nouveaux besoins.

François Gachoud

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