NAITRE OU NE PAS NAITRE, EUGÉNISME NOUVELLE VERSION
Etre ou ne pas être ? La fameuse question métaphysique d’Hamlet trouve ces jours-ci un aboutissement pour le moins inattendu. La Cour de Cassation de Paris a prononcé en effet le 17 novembre dernier un arrêt favorable à la possibilité juridique de considérer la naissance d’un handicapé comme un préjudice fondé en nature. Naître ou ne pas naître ? Selon cet arrêt, Nicolas Perruche, handicapé profond des suites d’une rubéole contractée par sa mère durant la grossesse, mais non diagnostiquée par le médecin, a droit à être indemnisé. De quoi ? D’être en vie, tout simplement. La Cour déclare en effet que la faute médicale commise ayant empêché la mère « d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice. » Quel préjudice ? Celui d’être né.
Ce cas pose d’une manière aiguë la question du retour de l’eugénisme sous une forme apparemment légitime, mais réellement problématique. En décidant en effet que réparation est due à l’enfant en raison d’un handicap qui résulte de la nature et non d’une faute médicale, la Cour de Cassation juge que la vie comme telle constitue un préjudice réparable si elle n’est pas conforme à la normalité. Cela signifie en conséquence que l’être handicapé aurait dû ne pas naître. Fâcheuse dérive. Une mère aura-t-elle l’obligation d’avorter si le diagnostic prénatal indique une malformation future ?
L’idée que la vie d’un handicapé ne mérite pas d’être vécue est déplorable. Car qui a le droit de dire que telle vie mérite ou non d’être vécue ? Ni le médecin , ni le juge, ni même les parents. Pourquoi ? Parce que seul le sujet de cette vie peut en disposer. C’est le principe même du droit à la vie et le fondement de notre dignité. Souhaiterions-nous, vous et moi, qu’un tiers dispose de notre droit à être ? Ce qu’il y a de sournois dans cette nouvelle forme d’eugénisme, c’est le fait d’estimer qu’un handicap peut légitimer le droit de disposer d’une vie à naître. La négation de la vie d’un autre suppose au moins son existence préalable. Et donc le devoir de considérer cet être comme seul sujet de son droit d’exister.
Une bonne trentaine de professeurs des facultés de droit des Universités parisiennes ont heureusement réagi et dans le texte qu’ils ont publié dans Le Monde du 24 novembre, ils s’opposent fermement au récent arrêt de la Cour de Cassation. Ils déclarent notamment ceci : « La vie ne peut être l’objet d’un droit à l’euthanasie prénatale qui, en supprimant le sujet, supprime le droit lui-même. Si, contre toute logique, il en va ainsi, il faudrait admettre aussi que l’erreur en sens inverse qui aurait conduit la mère à l’avortement d’un enfant sain justifierait la réparation, au bénéfice de l’enfant lui-même, du préjudice de ne pas être né. »
Il faut le rappeler fermement, en dépit des avancées de la science : le handicapé est un être humain à part entière. La dérive eugéniste consiste précisément à le priver de ce droit. Or, il a d’autant plus de prix qu’il a besoin de nous pour l’aider à vivre et à être heureux. Car les handicapés aussi peuvent être heureux. Ce n’est pas à nous de décréter pour eux le contraire. Ils ont droit au bonheur. Ce n’est pas à nous de décider qu’ils ne le méritent pas.
François Gachoud