En réflexion...

MAITRISER LA MAITRISE

« Le silence des espaces infinis m’effraie… » Lorsque Pascal, voici trois siècles et demi, composait sa fameuse méditation sur les deux infinis, l’infiniment grand et l’infiniment petit, il situait l’homme entre deux abîmes, le jugeant placé devant « un secret impénétrable ». Il l’invitait à contempler en silence le mystère de ce qui le dépasse, le priant de ne point prétendre l’expliquer avec présomption.

A l’heure où nous venons d’entrer dans le troisième millénaire, on pourrait penser que la méditation de Pascal a perdu sa raison d’être parce qu’elle n’est plus d’actualité. Que de progrès fulgurants en effet ont été effectués sur le front de la recherche du côté des deux infinis : les plus fines découvertes de l’astrophysique nous ont projeté quinze milliards d’années en arrière, au seuil de nos plus lointaines origines, à la naissance même de l’univers, au cœur du Big-Bang. Les avancées les plus spectaculaires dans l’infiniment petit nous ont révélé les secrets de l’atome, de ses particules infinitésimales, et la lumière elle-même a manifesté le ballet flambant de son énergie cachée. L’aventure des sciences du vingtième siècle aura décidément fait reculer les bornes du savoir et, pour la première fois dans l’histoire de l’homme, des pouvoirs apparemment sans limites sont entre ses mains.

Mais où allons-nous ? Les vieux mythes grecs avaient déjà doté l’homme de pouvoirs divins : c’était Prométhée qui volait le feu, c’était Icare qui s’élançait vers le soleil ou les Géants dont les forces ne connaissaient pas de limites. Mais les mythes grecs nous enseignaient aussi qu’à trop vouloir égaler les dieux, ces figures symboliques de l’humanité le payaient très cher : Prométhée se retrouvait enchaîné, Icare s’abîmait dans la mer et les Géants s’entretuaient. Aujourd’hui, à l’aube du XXIe siècle, les images virtuelles nous donnent le pouvoir de l’ubiquité ; avec les voyages interplanétaires, nous défions les fuseaux horaires ; avec la fission de l’atome, nous pouvons anéantir le terre et la vie.  Demain, nous pourrons même fabriquer l’homme à notre image : les récents essais de clonage thérapeutique nous en montrent le chemin.

Terrifiants chemins et monstrueux pouvoirs ? Toujours est-il que ce que l’on attribuait jusqu’ici à Dieu seul, la voilà à portée de main. Et nous voilà, quant à nous, à genoux devant un nouveau dieu : celui de la maîtrise suprême. Maîtriserons-nous la maîtrise ? Je vois là pour ce XXIe siècle inauguré la question qui se posera entre toutes les autres comme notre interrogation majeure. Une interrogation aussi vitale que primordiale car, de cette maîtrise de nos maîtrises, dépendra tout l’avenir de l’homme et des générations futures. Jamais comme demain le principe de responsabilité de Hans Jonas n’aura autant manifesté sa raison d’être.

Quand Dieu créait l’univers, la nature et l’homme, il était supposé mesurer ses dons à l’aune de sa sagesse. Maintenant que les hommes vont jouir de pouvoirs apparemment sans limites jusqu’à disposer des plus intimes de nos gênes, sauront-ils gérer leur maîtrise ou seront-ils dépassés par l’élan de leur propre orgueil ? C’est la seule question qui me paraît incontournable pour demain. Et je songe à Pascal qui, habité pourtant par son génie scientifique, philosophique et poétique, n’en confessait pas moins la petitesse de l’homme et sa fragilité : «  infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe ». L’humilité, oui l’humilité, sera peut-être la seule vertu indispensable à notre salut humain.

François Gachoud

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