MALRAUX A SON DICTIONNAIRE
Malraux de A à Z, c’est désormais possible. Un monument de savoir pour un une immense figure du 20ème siècle.
« Ô mon âme, n’aspire pas à la vie immortelle, mais épuise le champ du possible ! » Ce vers de Pindare aurait pu figurer en épigraphe à ce grand dictionnaire. Car il traduit au plus près la trajectoire à la fois unique et multiple d’un des créateurs les plus inspirés du 20ème siècle. André Malraux fut en effet avant tout cet explorateur infatigable qui décida, comme il l’a formulé, de « mesurer toute chose à la durée et à l’intensité d’une vie humaine ». Ce qui fit de lui ce passionné insatiable toujours en quête et con- quête de l’humain pour tenter d’embrasser toutes les formes d’explorations possibles.
Aussi devenait-il impératif de concevoir un dictionnaire-référence où tous les visages de Malraux, tous ses engagements, tous les domaines et thèmes de son œuvre puissent nous être offerts. Voilà qui est fait et de belle manière grâce à l’étroite collaboration des trois auteurs, Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz-Lavau et Michaël de Saint-Cheron qui ont sollicité plus de 70 spécialistes, écrivains, chercheurs, témoins, penseurs, critiques d’art, pour établir les quelques 300 notices de ce dictionnaire. Cette entreprise éditoriale est une mine de renseignements, de références, d’éclairages présentés en réseau où se croisent et se rencontrent toutes les données qui nous permettent de mesurer la présence, l’influence et la place considérable occupée par Malraux au cœur de son temps.
Ce qu’il convient peut-être de retenir en priorité en consultant ce dictionnaire, c’est l’intention première qui traverse toute l’œuvre de Malraux. Il la livre dans ses Antimémoires : « J’ai poursuivi une sorte de méditation ininterrompue qui a pris de multiples formes dont celle du roman » . Le terme « méditation » pourrait surprendre ceux qui connaissent surtout ses romans toujours situés et incarnés dans l’action. Il pourrait également surprendre dans la mesure où il est choisi par un écrivain et penseur agnostique. Mais il faut savoir que cet agnostique – qui refusa toujours de se dire athée – fut de nature particulière : « Je ne pense pas du tout que la transcendance n’existe pas, affirme-t-il ; je pense qu’elle existe fondamentalement et que les grandes figures de l’humanité sont toutes liées à une transcendance ». Qu’est-ce que Malraux voulait signifier par là ? Que ce ne sont pas d’abord les romans qui la révèlent, même si cette dimension n’en est pas absente, mais avant tout les œuvres d’art. Malraux a non seulement découvert et réalisé, mais il n’a cessé d’explorer et démontrer que les œuvres d’art de tous les siècles et de toutes les civilisations sont les lieux par excellence de la manifestation de l’humain et de son aspiration sans cesse renouvelée à une transcendance. Comme il l’a lui-même exprimé de manière lapidaire: « Le plus grand mystère n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres ; c’est que nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant ». A l’opposé donc de la fatalité porteuse de mort, Malraux a conçu l’art comme un « anti-destin ». La dimension transcendante des oeuvres d’art tient aux aptitudes créatrices de l’être humain. C’est dans l’acte créateur que le génie humain devient capable de dépasser les contingences historiques pour construire des valeurs porteuses d’un sens qui à la fois nous révèle et nous élève.
Au fond, tout le reste en découle. Si ce dictionnaire nous fait découvrir le Malraux public et privé, l’aventurier et l’homme engagé, le solitaire et le ministre de la culture, le Malraux restitué dans sa diversité foisonnante, ses paradoxes et bien sûr les fulgurances de son génie et de ses discours enflammés et épiques, c’est toujours parce qu’au rythme d’une vie intense, la polyvalence de son inspiration puisait à une même source. De là ce besoin de voyager partout, sa curiosité insatiable, ses rencontres avec tant d’artistes, poètes, écrivains, hommes politiques et grandes figures de l’histoire, de de Gaulle à Staline et Mao ; de là ses engagements en Indochine, dans la Résistance et dans la guerre d’Espagne. Le lecteur trouvera dans ce dictionnaire tout ce qui fait de Malraux une des figures les plus étonnante et représentatrice de son siècle. Il y a incontestablement dans sa vie et son œuvre quelque chose d’immense et inépuisable, une potentialité créative et engagée hors norme qui confirme ce que Pascal disait de notre condition pour en manifester la grandeur : « L’homme passe infiniment l’homme. »
François Gachoud
Dictionnaire Malraux : Sous la direction de Michaël de Saint-Chéron, Charles-Louis Foulon, Janine Mossuz-Lavau. Avec la collaboration d’Aziz Bennis. Ed. CNRS, 989 pp.
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