En réflexion...

L’ŒUVRE MONUMENTALE DE ROBERT BRANDOM

Les livres longs sont-ils inévitablement des livres-fleuves indigestes, propres à produire des systèmes autistes où le commun des mortels chercherait en vain à trouver des entrées ? Il arrive pourtant, comme c’est les cas de Lanza del Vasto, que de véritables monuments se soient érigés et affirmés durablement, fruits du travail de toute une vie et, pour cette raison-là, finissent par marquer de leur puissante empreinte l’histoire de la pensée. Le philosophe américain Robert Brandom a patiemment édifié un tel monument. Il voit enfin le jour en traduction française et c’est un évènement.

Voilà une œuvre qui n’hésite pas à redessiner les cartes, à tenter d’unifier le monde philosophique en proposant un modèle global d’explication.  On le sait, le terme « système » est devenu pesant. Mais pas pour Brandom. On peut être animé par l’idéal des grands philosophes et partir de questions aussi simples et centrales que celle-ci : « Qui sommes-nous et que veut dire « nous » quand il s’agit des êtres pensants et parlants que nous sommes et qui se distinguent des choses inertes mais aussi des vivants qui ne parlent pas ? » Cela n’empêche pas le penseur de synthèse de se confronter avec d’autres thèses et de les discuter. Ainsi, tout en faisant référence à Descartes, Kant, Hegel, Frege, Wittgenstein, Quine, Habermas et tant d’autres, Brandom s’applique à présenter une vision unitaire dans le but de mieux penser, débattre, argumenter et comprendre.

Comme le cordonnier ne produit pas de nouvelles chaussures en remettant simplement sur le marché celles qui sont déjà en usage, mais en renouvelant ses inventions à partir de modèles et techniques éprouvés, le philosophe présente une vision renouvelée du langage et des productions de l’esprit en puisant aux grandes sources pour les réinventer. La philosophie n’est vivante qu’à la condition de toujours travailler à un recommencement. Recommencer, ce n’est pas reprendre des contenus anciens pour les rafistoler, c’est ressusciter l’impulsion première de la philosophie : comprendre qui nous sommes, sur quels modèles nous pensons, agissons et disons.

La puissance de Brandom ? Tracer une ligne de crête où tout se tient, où il n’y a plus de frontières séparatrices, où l’homme qui pense apparaît comme celui qui devient conscience de ses différents niveaux d’être et de savoir. Et qui, au bout du compte, découvre comment et pourquoi il en est ainsi. Si l’œuvre de Brandom est difficile d’accès, il est possible aux lecteurs endurants et aguerris d’en saisir la grandeur.

François Gachoud

Robert Brandom : Rendre explicite. Raisonnement, représentation et engagement discursif. Traduit de l’anglais Par A-G- Argy, G. Bouttier, E. Domenach, G. Mansom, S. Plaud, B.Rouge, L. Soutif, I. Thomas-Fogiel. Sous la dir. d’I.Thomas-Fogiel. Ed. Cerf, coll. « Passages ». T.I 510 p., tome II 640 p.

LANZA+BRANDOM-LI-28-05-pdf
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