En réflexion...

QUAND DES ENFANTS SE SUICIDENT

C’est encore un phénomène trop peu connu. Mais le tabou est en train de tomber parce que la réalité est là : des enfants se donnent la mort. Certes, seule une petite minorité est concernée. Pourtant ces drames sont à ce point préoccupants qu’en France la secrétaire d’Etat à la jeunesse a demandé au neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik d’établir un rapport sur la question. Selon Cyrulnik, « les enfants envisagent de plus en plus de se tuer. Avant l’âge de 13 ans, 16% d’entre eux pensent que la mort pourrait être une solution à leurs problèmes de famille, d’école ou de relations amicales. »

Ce qu’on constate en fait, c’est que l’idée de mort se manifeste plus tôt aujourd’hui parce que l’âge de la maturation est plus précoce. Chez les jeunes, il est hélas vrai que le suicide est la deuxième cause de mortalité. Mais lorsqu’il s’agit d’enfants de 7 à 12 ans, on n’est pas vraiment dans ce cas de figure. Cyrulnik estime que c’est seulement entre 7 et 9 ans que la mort implique dans la conscience l’idée d’irréversibilité. Avant, l’enfant peut même se représenter la mort comme un jeu : pensons aux jeux dangereux par lesquels l’enfant cherche à se faire peur ou veut bluffer par témérité devant ses copains ( le jeu du foulard par exemple).

Il est clair que le suicide d’enfants est lié à des dysfonctionnements sociaux et familiaux : un sévère conflit conjugal, une dépression ou la mort d’un proche parent, la précarité ou encore l’absence d’éducation visant à transmettre des repères et des valeurs, fragilisent l’enfant. N’oublions pas qu’un enfant n’a pas le recul nécessaire sur ses propres émotions et impulsions. « Une privation affective, même anodine, pour un enfant ayant acquis un attachement sécure, fait, pour un enfant carencé, l’effet d’un vide vertigineux que seule une violente agression sur lui-même peut calmer », note Cyrulnik. A la différence de l’adolescent qui manifeste en général des signes précurseurs avant une tentative de suicide ( dépression, repli sur soi, déclarations verbales), l’enfant est complètement régi par ce qui l’affecte immédiatement et une contrariété vécue peut suffire à déclencher un passage à l’acte.

Nous vivons dans une société investie par le stress. Le culte de la performance, le rythme de vie effréné car tout s’accélère, les tensions au travail, l’instabilité anxiogène face à l’avenir incertain, mais aussi d’autres facteurs comme la perte du sens, les addictions croissantes, la montée de l’agressivité, le culte exagéré de l’hédonisme et de l’individualisme qui isole : tous ces paramètres ne favorisent ni l’équilibre, ni la niche affective nécessaire et rassurante pour l’enfant. Combien aussi de pères trop absents, combien de mères surinvesties, quotidiennement stressées et partagées entre le temps consacré à leur profession et à celui qu’elles s’efforcent de réserver à leur famille. Pas simple.

L’essentiel pour l’enfant se joue à coup sûr dans le cadre de la famille et l’école. Ce qui compte avant tout, c’est alors la qualité des liens, la présence et une attention suffisante aux besoins de l’enfant. Comme ceux-ci sont d’abord de nature affective, il est prioritaire de prendre du temps pour l’écouter et créer ce climat de confiance et d’amour qui le préservera de sa fragilité.

François Gachoud

 

A lire. Boris Cyrulnik : Quand un enfant se donne « la mort ». Ed. O. Jacob.

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