BEBES GENETIQUEMENT MODIFIES
BEBES GENETIQUEMENT MODIFIES
Il fallait s’y attendre et une ligne rouge a été franchie. Du clonage de la brebis Dolly voici près de vingt ans à la volonté de transgresser le principe du respect des données ADN qui garantissent à l’être humain l’intégrité de son identité, le chercheur chinois He Jiankui a franchi le pas. Il est devenu le biologiste autoproclamé des premiers bébés génétiquement modifiés. Dans l’amphithéâtre du Centennial Campus de l’Université de Hong Kong, en présence de nombreux scientifiques et avec un aplomb qui a interloqué ses pairs, il s’est dit fier de sa prouesse et regrette la controverse suscitée par son audace inconséquente. Peu lui importe que la controverse soit devenue mondiale, il se justifie, persuadé d’avoir ouvert une brèche pour le bien de l’humanité future.
Ce qui fait avant tout problème, c’est la facilité avec laquelle cette première a été possible. Car il lui a suffi de manipuler des gènes, ce qui est à la portée de n’importe quel biologiste expérimenté, sauf que là, en l’occurrence, c’était de gènes humains auxquels jusqu’à présent la communauté scientifique s’est interdite de toucher. Ces gènes en effet sont porteurs de la vie. Ils déterminent notre identité singulière, personnelle absolument, ils définissent notre patrimoine héréditaire pour des générations. Il y a là un abîme qualitatif entre la valeur d’une vie humaine et les molécules chimiques qui caractérisent notre ADN. Elles sont certes une condition de la détermination de notre vie, mais ce que nous sommes en nous développant à partir de là, c’est bien le fait que nous sommes des êtres capables de penser et d’aimer, des êtres libres auxquels nous reconnaissons des droits et une liberté responsable ce qui, dans l’ordre qualitatif, fait de nous des êtres capables de se finaliser. Nous nous donnons des buts et nous leur donnons sens.
Il est donc facile de manipuler notre ADN du point de vue chimique mais l’enjeu est considérable : il modifie l’identité même de notre nature en ce qu’elle a de spécifique au niveau qualitatif. Et cette spécificité nous distingue des autres espèces. Lesquelles ont aussi leur spécificité propre : nous n’avons pas à modifier l’ADN du lion ou de l’éléphant. Leurs caractéristiques propres sont aussi à respecter du point de vue qualitatif. Là se manifeste le prodige de la reproduction de la vie qu’aucun généticien n’a jamais pu expliquer. Car on ne sait pas pourquoi telle configuration d’ADN donne des êtres humains plutôt que des oiseaux ou des ours. Autrement dit, toucher à l’ADN, c’est toucher à la vie dans les formes qu’elle invente et développe, ce qu’aucune machine, si sophistiquée soit-elle, ne saura jamais faire. Car une machine n’est pas un vivant, c’est une chose fabriquée comme les pièces d’une voiture ou d’un ordinateur, une chose qu’il faut programmer dans tel ou tel but. Et ce but est utilitaire : les machines sont et restent des outils quelles que soient leurs performances. Nous, nous sommes des vivants qui ont leurs valeurs propres, leurs finalités propres. C’est à respecter absolument. Sinon nous remettons en cause les identités qui nous définissent et ce serait tout simplement à terme la fin de l’humanité. Il faut clairement en mesurer l’énorme conséquence. C’est ce que le chercheur He Jiankui n’a pas compris. D’ailleurs un de ses confrères en biologie, Resong Qui, n’a pas mâché ses mots en apostrophant He Jankui : « Votre tentative d’amélioration génétique, c’est le dernier degré de ce qui est justifiable d’un point de vue éthique » !
Notre apprenti sorcier a aussi été traité d’irresponsable par ses pairs et jugé sévèrement lorsqu’il a tenté de se justifier : comment ? En affirmant avoir voulu rendre deux jumelles à naître résistantes au virus du sida. C’est une réponse qui ne tient pas la route car il existe d’autres méthodes pratiques et efficaces pour empêcher l’infection du virus du sida. He Jiankui s’est en fait révélé comme un manipulateur : il a eu recours à des couples qui ont accepté de servir de cobayes pour son expérience. Ces volontaires masculins étaient séropositifs et les volontaires féminins séronégatives. Ce recours à des cobayes humains ne saurait justifier la transgression du respect intégral de notre identité.
Ce qu’on doit craindre évidemment c’est qu’une fois ce pas franchi, d’autres biologistes dans le monde vont probablement emboîter le pas et jouer les apprentis sorciers. On l’a constaté en d’autres circonstances. Il faut se rappeler qu’une fois le principe éthique transgressé, le spectre de la banalisation surgit très rapidement car on finit par se dire « Au fond, pourquoi pas ! » C’est un énorme piège dont la plupart des gens ne mesurent pas les conséquences. Prenons résolument conscience que toucher à l’ADN porteur de nos spécificités humaines est chose trop facile, mais ce qui est alors engagé, c’est une mainmise sur la nature même de nos personnes et de notre dignité. C’est une forme d’instrumentation qui fait de nous des cobayes et l’on songe aux prédictions justifiées de Georges Orwell qui, dans son célèbre roman 1984, nous annonçait la fin de l’humanité.
François Gachoud