Passion de la Montagne : François Gachoud
Interviewé par Colette Dupasquier, photo Fr. Gachoud
Dans les prochains numéros du « Bouquetin », plusieurs membres de notre section du Club Alpin vont vous parler de leur passion au travers d’un lieu de montagne qui les a marqués. Saurez-vous découvrir de quel endroit il s’agit ?
Ce mois-ci, François Gachoud, alpiniste, professeur retraité et philosophe, auteur de « Sagesse de la montagne », livre dans lequel il exprime ce que la montagne représente dans sa vie, va partager sa passion avec nous.
- Présente-nous ce lieu
C’est un lieu unique parmi d’autres ascensions marquantes parce qu’il a représenté la plus belle expérience de montagne de ma vie. J’avais déjà gravi bien d’autres sommets des Alpes (Cervin, Dent-Blanche, Eiger, Zinalrothorn), mais cette arête nord, longue et difficile, que j’ai escaladée en compagnie d’un guide de Saint-Luc en juillet 1989, je savais qu’il était opportun à mes yeux de la réaliser avant 50 ans. Cette expérience a été comme un couronnement de toute une vie attachée à la montagne. Cette passion s’identifiait en fait à ma vie car j’ai toujours considéré qu’on ne va pas en montagne par esprit de performance mais par amour.
Dès mon enfance, j’ai vécu mon rapport à la montagne comme un art de vivre, comme une manière de chercher une sagesse. J’ai eu la chance d’avoir un père qui pratiquait l’alpinisme et qui a fonctionné comme chef de courses à la section Moléson. Depuis l’âge de 10 ans, j’ai gravi la plupart des sommets de nos Préalpes.
Ce qui m’a conquis, c’est la beauté qu’on peut contempler lorsqu’on regarde le monde du haut d’un sommet. J’éprouvai alors une vraie communion avec la nature. Plus tard, une fois adulte, je suis plusieurs fois monté de nuit au Vanil-Noir pour y contempler le lever du soleil, entouré des bouquetins qui broutaient l’herbe autour du sommet. Ce sont des moments de joie pratiqués dans un grand silence qui nourrit le cœur et l’esprit.
- Quand as-tu découvert cette montagne et dans quelles circonstances ?
Elle m’avait toujours fasciné parce que, vue par exemple du Cervin ou du Breithorn, elle se présente comme une immense pyramide parfaite, ce qui fit naître en moi une attirance irrésistible. Le guide de Saas-Fee qui m’avait emmené au Cervin et à la Dent Blanche me l’avait vivement recommandée.
L’envie de faire cette course mémorable m’est venue le jour où, après m’être beaucoup entraîné et avoir trouvé un guide chevroné (il avait réalisé une première hivernale par la face est de ce sommet), les conditions m’ont parues favorables à cette ascension.
- Pourquoi ce lieu t’a-t-il marqué ?
D’abord parce que je réalisais un rêve longtemps convoité. C’est une course absolument splendide où la progression se présente comme une alternance entre l’escalade d’un rocher de pur granit et la découpe d’une arête de glace aussi séduisante que celle du Bianco Grat dans le massif de la Bernina. Proche du sommet, j’ai d’ailleurs vécu une expérience rare : j’ai dévissé car j’ai mal ancré mon crampon gauche dans la glace et, sans la vigilance immédiate du guide, nous aurions les deux plongé dans le vide. Ce n’était, Dieu merci, pas notre heure !
- Quelle influence ce lieu a-t-il eu sur ta manière de percevoir la montagne ?
Ma manière de vivre la montagne n’a pas changé, mais elle m’a confirmé que les rêves de grands sommets sont réalisables si l’on y va par passion et par amour. Mais aussi avec le souci d’un bon entraînement physique.
- Cet endroit a-t-il changé au fil des années, te séduit-il toujours autant ?
Par la suite, j’ai revu cette arête plusieurs fois sous divers angles du haut d’autres sommets, ce qui m’a donné l’occasion de revivre cette ascension en me souvenant de cette expérience privilégiée. A l’heure où mon âge ne me permet plus de retourner sur de pareils géants de nos Alpes, j’ai la chance de pouvoir revisiter, grâce à une mémoire toujours aussi fidèle, les moments les plus forts des grandes courses qui ont nourri mon attachement à la montagne. « Comme le violoniste reprend toujours son violon, l’alpiniste retourne toujours à ses montagnes ».
- As-tu partagé cette découverte avec d’autres et comment ?
J’ai souvent partagé avec des amis l’expérience vécue des ascensions communes et j’ai remarqué que cette forme d’échanges révèle en fait une véritable communion des cœurs et des âmes. On ne pratique pas la montagne en additionnant les courses mais en intériorisant ce qu’elle façonne en nous, comme un sculpteur taille sa statue. « Une ascension est une œuvre d’art. Celui qui construit la montagne est un sculpteur et c’est lui-même qu’il édifie. »
- Aurais-tu envie de proposer à nos lecteurs un bon plan pour découvrir cet endroit ?
Chaque printemps, pour m’entraîner, je me disais qu’il convient d’apprivoiser peu à peu l’univers des montagnes. Je commençais par fréquenter les Préalpes fribourgeoises jusqu’en été. Puis je partais dans les alpes bernoises, aux Grisons ou en Valais en juillet. Quand il s’agissait d’une ascension difficile, je choisissais un ami guide pour déterminer avec lui le moment favorable à une grande course.
Une arête comme celle dont on a parlé demande une préparation attentive. J’invite les amateurs de telles courses à profiler le déroulement de ce genre d’ascension en choisissant vraiment le bon moment. Une préparation physique régulière et progressive est nécessaire car une telle aventure implique une quinzaine d’heures d’efforts !
J’adresse mes vifs remerciements à François Gachoud. Il nous a fait partager sa passion pour la montagne en réalisant l’ascension de l’arête nord du Weisshorn, que la plupart auront sans doute reconnu !
Les phrases entre guillemets sont des extraits de son livre « Sagesse de la montagne ».
INTERVIEW publiée dans le Bulletin d’Octobre 2017 du Club Alpin Section La Gruyère/Suisse
Passion : François Gachoud