NOBLESSE DE LA COMPASSION
Il arrive qu’à la mesure des plus grands malheurs se manifeste le formidable élan de la compassion. Non pas que celle-ci ait le pouvoir d’en abolir les terribles effets. Mais c’est la seule réponse digne et adéquate que l’être humain puisse opposer à l’océan de souffrances qui vient de frapper le peuple haïtien.
Que pouvons-nous faire face à un tel fléau ? Bien qu’un inévitable sentiment d’impuissance nous envahisse, nous n’acceptons pas pareille fatalité. Et nous voulons répondre, conjurer, comme nous le pouvons, le sort qui s’acharne sur tant de victimes. La compassion est d’abord la réponse du cœur à l’injustice faite aux innocents. Noblesse de la compassion ! Bonne nouvelle de la compassion !
Bonne nouvelle, parce que l’immense élan de générosité qui s’est manifesté atteste qu’un profond sentiment de bonté habite le fond de l’âme humaine. Et ce malgré les violences, les injustices, l’esprit de vengeance, de calcul, les coups bas et toutes les formes de mensonges, d’hypocrisies, de volontés haineuses et meurtrières qui se manifestent quotidiennement dans le monde. Oui, il y a de quoi croire encore en la bonté de l’homme ! Une bonté certes parfois cachée, souvent occultée ou étouffée, mais une bonté réelle qui se réveille et se manifeste quand le malheur vient frapper ceux en qui nous découvrons tout d’un coup des frères en humanité.
Noblesse de la compassion parce que, comme en 2004, au moment du Tsunami, nous avons laissé parler notre cœur pour les victimes du séisme en Haïti. Les médias, pour une fois, n’ont pas cherché le scoop pour étaler les scandales ou flatter le sensationnel, mais pour souligner la vibrante générosité du peuple suisse et des autres pays. C’est non seulement réconfortant. C’est révélateur de ce potentiel de bonté qui nous habite et il faut nous en réjouir. Non pas en être fiers ou en tirer gloire, mais nous réjouir parce que nous avons besoin de nous rappeler à la noblesse de cette vertu.
La compassion est peut-être le signe le plus tangible de notre dignité. Littéralement, compatir, c’est « souffrir avec ». C’est ne pas supporter que le malheur qui touche les autres les prive de vie et de dignité. Compatir, c’est se mettre à leur place, c’est donner priorité à eux et non à nous. Compatir, c’est attester que l’altruisme peut vaincre l’indécrottable orgueil de notre égoïsme. C’est se sentir solidaire de ses semblables et agir. C’est laisser parler la ferveur de donner à ceux qui n’ont plus rien. La compassion, c’est l’autre nom de la communion.
Des images saisissantes l’ont d’ailleurs montré : on a vu le visage épuisé et en pleurs de ces sauveteurs et médecins donnés jour et nuit à leur tâche, mais aussi leur visage soudain illuminé de joie parce qu’après des jours et des jours, du fond des décombres, une vie humaine a pu surgir et être sauvée. La compassion en acte, c’est peut-être surtout cela : la joie de sauver des vies. Et l’on réalise alors qu’il n’y a sans doute rien de plus noble que le prix d’une vie arrachée à la mort.
L’essentiel ensuite, c’est de ne pas en rester là. C’est, une fois l’émotion du moment passé, garder son cœur en éveil et songer, sans les oublier, aux années de reconstruction nécessaire pour que le peuple haïtien frappé puisse revivre debout, dans la dignité retrouvée. La compassion, si elle est fugace, n’est pas une vertu. Elle ne prouve son authenticité que dans la persévérance et la durée.
François Gachoud