L’INESTIMABLE VALEUR DU LIVRE
La campagne autour de la réglementation du prix du livre engendre une telle bataille de chiffres qu’il est devenu difficile d’y voir clair. C’est regrettable dans la mesure où l’on en vient à négliger la question de fond : le livre est-il une simple marchandise ou un bien culturel irremplaçable ? L’enjeu est bien là. Car si, en apparence, tout le monde semble d’accord pour accorder une valeur au livre comme véhicule privilégié du savoir humain, dans la réalité, les partis politiques (UDC, PLR et Vert’Libéraux) qui ont lancé un référendum contre la loi fédérale adoptée le 18 mars 2011 considèrent bel et bien le livre comme un objet commercial à soumettre à la concurrence du marché.
Or, que dit le premier article de la loi fédérale ? Ceci : « Promouvoir la diversité et la qualité du livre en tant que bien culturel » et « garantir que le plus grand nombre possible de lecteurs aient accès aux livres aux meilleures conditions ». Il n’est pas question ici de réduire le livre à un simple objet de consommation. Le texte souligne à l’évidence qu’il s’agit d’un bien culturel auquel tous ont droit et « aux meilleures conditions ». Cette loi fédérale s’inscrit clairement dans l’esprit de la convention de l’Unesco adoptée en 2005 et ratifiée par la Suisse. Elle reconnaît par conséquent au livre son caractère unique et l’affranchit le plus possible des règles de concurrence qui régissent le marché commercial. D’où la volonté d’introduire la norme du prix unique du livre comme en France, en Allemagne, en Autriche et en Italie. Quoi de plus équitable ?
Mais ceux qui ont lancé le référendum contre la loi n’en ont cure. D’ailleurs – et c’est significatif – le Conseil fédéral l’a défendu à contre-coeur bien que tenu de se ranger à l’avis du Parlement majoritairement favorable au projet du prix unique. Le conseiller Schneider-Ammann a, de facto, choisi son camp : il y voit une atteinte au libre marché. En 2007 déjà, le Conseil fédéral avait refusé de réintroduire le prix unique du livre qui prévalait pourtant auparavant en Suisse alémanique. Et c’est bien de Suisse allemande que le référendum a été lancé contre la loi fédérale. Sur le total des signatures récoltées, près de 98% viennent d’outre-Sarine.
Disons-le tout net : refuser le prix unique du livre, c’est favoriser les grandes chaînes de distribution qui maintiennent des prix élevés à l’importation et visent avant tout la vente de best-sellers à prix chocs (20% du marché) ; c’est menacer la survie des petites librairies locales (30 librairies ont disparu en Suisse romande depuis 2005) ; c’est méconnaître et affaiblir la valeur de livres importants qui sont inévitablement moins ou peu vendus ; c’est supprimer la production de près de 70% de livres édités à perte mais qui assurent la richesse de l’offre et la diversité culturelle.
L’enjeu est de taille, d’autant que le poids des votants de Suisse alémanique qui soutiennent le référendum risque de jouer un rôle majeur. Une raison de plus, pour nous autres romands, d’aller voter. Il serait salutaire de contrer la déferlante favorable à la marchandisation d’un bien culturel qui reste unique et irremplaçable.
François Gachoud