En réflexion...

SIMONE WEIL PHILOSOPHE VISIONNAIRE

Les Cahiers d’Histoire de la philosophie nous font découvrir en plus de vingt contributions l’œuvre féconde et inégalée d’une grande figure de la pensée.

A l’occasion du centenaire de sa naissance, Alain Favarger a évoqué avec bonheur dans ces colonnes ( cf. Liberté du 14.2.2009) la trajectoire en tous points unique de Simone Weil. Aujourd’hui, les éditions du Cerf nous proposent une étude plurielle et fouillée de sa pensée. Ces contributions de spécialistes français et étrangers se déploient autour de thèmes qui, par leur complémentarité, restituent la trame incroyablement riche de celle qui fut tout à la fois militante, ouvrière, enseignante, mystique, poète et avant tout cette philosophe inoubliable dont l’œuvre immense fut habitée de bout en bout par un fiévreux engagement, loin de tout système. Tous s’accordent à souligner la puissance et l’intensité de sa vision qui donne souvent le vertige.

Ecrivant sans cesse, Simone Weil a traversé en témoin majeur les tragédies de la première moitié du 20ème siècle sans jamais séparer sa pensée de l’action, toujours occupée par le souci de répondre aux interrogations mouvementées de son temps, jusqu’à sa mort survenue en août 43 dans un sanatorium à l’âge si jeune de 34 ans. Pourtant, la quantité de ses écrits est énorme : ses Œuvres complètes publiées chez Gallimard représentent 9 tomes en 2008. Dont les fameux Cahiers, une vingtaine, écrits en contexte de guerre lorsque Simone Weil est engagée dans la Résistance.

Quelle fut sa conception philosophique ? Ni système, ni discours théorique. La philosophie est pour elle « exclusivement en acte et pratique ». Ce qui veut dire qu’écrire sur la philosophie n’est pas pratiquer la philosophie. Le discours « sur » ne conduit pas à la vérité : « La vérité, affirme-t-elle, ne se trouve pas par preuves, mais par exploration. Elle est toujours expérimentale ». La vérité, il faut l’éprouver dans ce mouvement intérieur qui engage tout l’être. Il faut aller à elle « de toute son âme ». C’est-à-dire « travailler notre âme comme on travaille la terre pour qu’elle reçoive le grain ». Ou encore : « La philosophie implique pour qui la conçoit une manière de sentir et d’agir, et cela à tous les instants, dans toutes les circonstances de la vie ». Philosopher n’est finalement rien d’autre que la recherche d’ « une manière de vivre », ce qui postule, et c’est capital, de « travailler à une transformation de soi ». Non pour acquérir des connaissances, mais pour « être dans la vérité ».

La transformation de soi donc, effective, expérimentale, intérieure et incarnée dans les choix de l’action, tel est le but de la vraie philosophie. Il est intéressant de noter que, bien avant Pierre Hadot qui en a renouvelé l’essor par la pratique des « exercices spirituels » chers aux philosophes antiques, Simone Weil a compris cet enjeu. La philosophie est un travail de soi sur soi. Ce qui implique qu’elle engage une certaine posture existentielle, une certaine orientation, un certain regard. Car ce qu’il s’agit de transformer, c’est cette orientation du regard. Il s’agit de changer l’orientation de tout ce qui est donné et vécu. C’est profondément expérimental et sensible. Simone Weil est une visionnaire qui a vécu dans l’éclat de cette évidence : il n’y a au fond pas d’autre philosophie que celle de notre condition incarnée. La chair, ce n’est pas le corps organique, c’est le lieu où l’âme est en travail dans un corps qui sent, qui éprouve, qui pense et veut en intériorisant la transformation de soi. C’est la racine même de la pensée pour qu’elle devienne en accord avec l’action.

Mais pourquoi faut-il agir sur soi pour accéder à la vérité ? Parce que nous sommes des êtres de désir. Le désir « est le centre même de notre être », il est notre vie. Mais de quel désir s’agit-il ? Pour Simone Weil qui rejoint en cela Platon, Pascal, Kant et plus récemment Levinas, il s’agit de l’intarissable désir qui nous porte, au-delà de nos limites et de notre finitude, vers le bien infini. Seul ce désir-là ne s’éteint pas. Tous les autres nous attachent à des objets qui ne nous satisfont jamais complètement. Raison pour laquelle nous courons d’un désir à l’autre sans trouver le bien qui pourrait enfin nous combler. Les choses désirées en ce monde, nous les trouvons bonnes, bien sûr, mais elles ne sont pas le bien. « Car le désir de l’or n’est pas de l’or ; au lieu que le désir du bien est un bien ».Voilà pourquoi il faut opérer une transformation de soi, effective, expérimentale : se vouer, à travers l’action altruiste et pour des causes nobles, à poser des actes dont la valeur conduit au bien, non à la satisfaction éphémère de soi. Ce qui suppose un entraînement au détachement des biens de ce monde, à la possessivité. C’est là ce qui explique le caractère entier, absolu des engagements de Simone Weil : la résistance, la condition ouvrière, la recherche de Dieu.

Simone Weil : une philosophe complètement atypique, singulière, incomparable ; une philosophe dont l’éternelle jeunesse nous parlera sans prendre une ride. Aussi faut-il la lire, la relire, pour comprendre ce que signifie une philosophie sans cesse en prise avec la vie.

François Gachoud

SIMONE WEIL : Les CAHIERS D’HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE, direction Chantal Delsol, Ed. Cerf, 680 pp.

A lire aussi : SIMONE WEIL. La quête des racines célestes. Une biographie intérieure par Sylvie Courtine.Denamy, Ed Cerf, 152 pp.

NOTE : Pour les textes de Simone Weil, l’édition des Œuvres complètes étant en cours chez Gallimard, nous conseillons de visiter en priorité Œuvres du même éditeur en collection Quarto. Egalement ses ouvrages les plus connus : L’Enracinement en Folio-Gallimard, La Pesanteur et la grâce chez Plon, Attente de Dieu chez Fayard.

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