En réflexion...

COMMENT PENSER L’HUMAIN AU XXIème SIECLE ?

Monique Atlan et Roger-Pol Droit proposent un étonnant voyage : visiter l’archipel des changements qui bouleversent nos représentations de l’humain. Passionnante enquête.

Si l’on avait demandé à nos grands-parents d’imaginer qu’on allait un jour manipuler l’ADN, congeler des embryons, développer des cellules souches, inventer des machines artificielles, visualiser l’activité de notre cerveau, réparer et rajeunir notre corps, repousser le processus de vieillissement voire la mort elle-même, ils n’y auraient pas cru. Mais aujourd’hui sommes-nous encore assurés de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas ? Au vu de l’accélération incroyable des technologies en tous domaines, il y a de quoi se poser la question, d’autant qu’informatique, nanotechnologies, neurosciences et biotechnologies sont étroitement connectées et que la question de la nature et des limites de l’humain se trouvent du même coup reposées. N’était-il pas temps de faire le point, de nous demander où nous en sommes et donc d’entreprendre une recherche prospective pour essayer de comprendre ce qui est désormais engagé par les mutations considérables dont l’humain est l’objet et cela de sa propre initiative ? Oui, mais comment s’y prendre ? Le chantier est tellement vaste, il embrasse tant de domaines, postule des enjeux si nombreux et si cruciaux finalement.

Monique Atlan et Roger-Pol Droit n’ont pas hésité devant l’ampleur de la tâche. Ils se sont rendu aux quatre coins de la planète, ont fait un tour du monde des universités pour interroger les chercheurs les plus réputés. Ils ont ensuite rassemblé leurs déclarations en les disposant en huit sections ou têtes de chapitre qui recouvrent la somme des avancées scientifiques de l’heure. Nous avons le privilège de pouvoir accéder aux résultats de cette enquête. Enquête inédite, unique en son genre, sans équivalent.

Mais ce n’est pas tout. Car il ne suffisait pas d’enregistrer les déclarations et analyses des cinquante savants et penseurs sollicités dans le monde entier. Il fallait encore les introduire, les interpréter, en dégager les enjeux, en préciser le sens. Et surtout, élaborer des critères. Travail philosophique par conséquent : où se trouve aujourd’hui la frontière entre le naturel et l’artificiel, entre le vivant et le non-vivant, entre l’homme et l’animal, entre le fait de changer nos conditions de vie et la condition humaine elle-même ? Si les pouvoirs des technologies nous permettent de modifier ce qui conditionne nos façons de vivre, ne sommes-nous pas en train de changer radicalement notre représentation de l’être humain, son rapport à la vie, à autrui, à la mort ? Qu’est-ce qui caractérise désormais la spécificité de l’humain ?

C’est une question de frontière à définir. Où la situer? Au temps des Lumières, de l’Encyclopédie, c’était plus simple. Il n’y avait pas de remise en question de l’humain. Il s’agissait simplement de faire progresser les savoirs et les techniques. On n’imaginait pas que cet idéal du progrès puisse remettre en cause le statut de l’humain. Mais au 20ème siècle, on a brutalement pris conscience de la menace que les technologies peuvent faire peser sur l’humanité. L’homme a désormais entre ses mains les moyens de programmer sa propre disparition. Hiroshima a eu lieu ! Sans compter que, dans un autre registre, Shoah et Goulag ont pu produire une effrayante communauté de vues : les progrès scientifiques n’empêchent nullement que des régimes totalitaires fassent triompher le règne de la barbarie et de l’inhumain. La question qui nous est posée est donc celle-ci : comment faire pour que les technologies de pointe qui sont en nos mains ne remettent pas en cause la spécificité de l’humain ?

Les auteurs comme la plupart des savants interrogés vont dans le même sens : la frontière à préserver se trouve du côté de l’éthique. Nous sommes  seuls à pouvoir reconnaître et définir des valeurs morales. L’homme est libre, il est seul responsable de son destin. A lui de rester conscient de ce que représente la vie et sa dignité. A lui de répondre désormais à cette immense question: quel monde voulons-nous finalement pour demain, quelles que soient les avancées futures des technologies ?

L’ouvrage de M. Atlan et RP. Droit fera sans doute désormais référence. Il vaut donc la peine de s’y plonger et de se laisser conduire. A aucun moment et malgré son épaisseur, le lecteur n’en lâchera la trame parce qu’à chaque étape de l’enquête il ira de découvertes en découvertes. Un vrai bonheur.

François Gachoud

Monique Atlan et Roger-Pol Droit : HUMAIN. Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies. Ed.Flammarion, 560 pp.

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