En réflexion...

LES ANCIENS NOUS PARLENT ENCORE

Où en sommes-nous avec les Anciens ? On a beau dire qu’ils nous ont transmis pendant plus de vingt siècles un fabuleux héritage, qu’ils ont balisé puis imprégné les voies fondatrices de notre culture, aujourd’hui « quelque chose s’est rompu dans la continuité de nos rapports aux Anciens », selon R.P.Droit. Depuis deux ou trois générations en effet, ce qu’ils nous ont transmis se trouve comme laissé en friche et fortement déserté par l’école. La fréquentation de leurs œuvres n’est-elle plus que l’affaire des spécialistes ? Les Anciens « objets de musée, momies académiques, acteurs de péplum » ? Non ! répond R.P.Droit. Il faut « changer notre regard, cesser de voir l’Antiquité comme une chose morte, respectable mais ennuyeuse, vaguement décorative mais inutile ». Comment faire ? Comment changer ce regard ? C’est tout l’objet de ce livre.

Si l’on veut montrer que les Anciens ont encore beaucoup à nous dire, il faut d’abord éloigner de nos têtes les clichés qui leur collent à la peau. On les imagine figés une fois pour toutes dans le marbre. C’est faire erreur. Pour une raison majeure : les Anciens n’ont jamais séparé la pensée de la vie. Si penser est bien la tâche des philosophes, on a trop souvent oublié qu’ils s’exerçaient à penser pour apprendre à vivre. Lorsque Socrate interrogeait ses concitoyens sur la place publique, c’était pour leur faire découvrir un mieux vivre. Comment ? Par une meilleure connaissance pratique de soi et des autres. Lorsque Zénon, Sénèque ou Epicure enseignaient les chemins d’une vie sans troubles, ils en appelaient à l’apprentissage d’une sereine maîtrise de soi. Dans quel but ? Sinon de mieux vivre. Ils traçaient les itinéraires possibles d’une transformation de soi. Cette articulation nécessaire entre l’art de penser et l’art de vivre, cette expérience de la pensée qui vise toujours une meilleure existence possible, c’est la leçon première des Anciens. Qui ne voit que cela peut toujours le concerner aujourd’hui ?

La seconde et irremplaçable leçon des Anciens, c’est leur inlassable quête de vérité. Car s’il s’agit d’apprendre à vivre, encore faut-il que cette vie soit la plus authentique, la plus vraie possible. C’est la raison pour laquelle il y a chez les penseurs grecs une puissante recherche de vérité. Il s’agissait pour eux d’aller au pourquoi des choses, d’interroger le réel, d’écouter la voix des raisons d’être qui nous parlent du monde et de nous-mêmes. Le but consiste par conséquent à ouvrir l’esprit pour le rendre conforme à la vérité de nos vies. Lorsque Héraclite ou Parménide s’attachent à dévoiler la raison qui régit toutes choses en ce monde, lorsque Platon ou Aristote cherchent à embrasser la totalité des domaines du savoir humain, ce n’est pas pour édifier des doctrines, c’est pour nous inviter à une inlassable recherche de vérité. Car le champ du savoir demeurera toujours ouvert, inachevé. Et nul ne peut prétendre l’épuiser. Ne s’accroît-il pas encore aujourd’hui à la mesure de nouvelles découvertes ?

Mais ce n’est pas tout. Car les Anciens nous ont aussi donné la tragédie et la comédie, ils ont inventé l’expression artistique la plus large, la plus diversifiée qui soit. Qu’ont-ils donc transmis par là ? Qu’on peut aussi apprendre à penser par l’émotion. Le théâtre tragique n’est-il pas la mise en scène  de la vie elle-même quand elle examine ses propres conflits ? La comédie ne nous donne-t-elle pas le rire comme le miroir à la fois joyeux et critique de nos propres travers ? Toutes les œuvres artistiques ne portent–elles pas en elles une inventive leçon sur nous-mêmes ?

Et quoi encore ? N’oublions pas les poètes et les historiens, n’oublions pas les orateurs ! Nous devons à Hésiode, Homère et Virgile d’avoir forgé l’épopée des origines comme de véritables matrices à engendrer les civilisations. Nous devons à Hérodote, Thucydide ou Tacite d’avoir su dévoiler l’épaisseur du temps, d’avoir inventé l’histoire comme un révélateur de l’évolution des sociétés et des peuples. Quant aux orateurs comme Démosthène et Echine, ils nous rappellent en ce siècle des images saturantes que nous ne devons pas oublier les vertus du discours, vertus démocratiques par excellence puisque l’art oratoire avait alors pour fonction d’éclairer et de convaincre les citoyens appelés à voter les lois.

Ce livre de Roger-Pol Droit, qui se présente comme une libre promenade à mener au gré des inclinations du lecteur, a quelque chose de séduisant et précieux à la fois : il nous donne de réinventer notre rapport personnel aux Anciens. Il tisse un réseau mobile et multiforme où circulent dans l’unité les composantes capitales des trésors qu’on leur doit. Parcours alerte où l’on ne s’ennuie jamais. Car il trace les voies, dégage les pistes et surtout nous laisse libres de dessiner nous-mêmes notre chemin.

François Gachoud

Roger-Pol Droit : Vivre aujourd’hui avec Socrate, Epicure, Sénèque et tous les autres. Ed. Odile jacob. 235 pp.

Roger-Pol Droit nous invite à changer notre regard : le savoir vivre des Anciens est toujours d’actualité !

A visiter pour les bonnes surprises.

ANCIENS+XXeS.-19-02-2011

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